À la rencontre de Melia
Elle m’appelle en me demandant d’une voix toute timide « comment ça se passe pour écrire son histoire ». Je dois la faire répéter pour l’entendre, elle susurre plus qu’elle ne parle, comme si elle dévoilait un secret qu’elle n’avait jamais dit et hésitait encore à dire…
Elle a 20 ans. Elle me confie du bout des lèvres qu’elle a été adoptée à ses 8 ans, qu’elle aimerait relater son parcours, car elle sent que cela « la libérerait ». Tout le monde s’approprie son histoire, me dit-elle, et la raconte tel un conte de fée, celui d’une petite Africaine orpheline délivrée de son destin incertain par une famille adoptive aimante… Personne ne parle de la souffrance que cache sa chance, personne ne sait, ne dit le sentiment de solitude et d’abandon qu’elle a ressenti et ressent encore au fond d’elle. Aujourd’hui, elle éprouve le besoin de raconter sa vérité. D’assumer qu’elle a eu mal, qu’elle a encore mal parfois, malgré tout l’amour et la chance qui l’entourent.
Alors elle m’a appelée pour que je l’aide à s’écrire et à laisser au papier cette page du passé – ou au passé ce livre de papier… Je sens que c’est très important pour elle, essentiel même, de l’ordre du besoin plus que du projet.
« Je sais que ça va me faire comme une thérapie », me dit-elle.
Elle ne croit pas si bien dire…
Quand je vais à sa rencontre pour la première fois, je me sens étrangement émue, comme pour un premier rendez-vous, pas amoureux cette fois mais tout aussi troublant. Melia vient exprès de province pour commencer son livre ; c’est la toute première fois qu’elle vient à Paris. En solo, en train, en secret – elle ne veut pas que ses proches sachent, c’est son histoire à elle. Je me sens privilégiée d’être celle qu’elle a choisie pour recueillir sa vérité.
Un an plus tard, Melia n’a (délibérément) pas encore fini son livre. Elle veut prendre son temps. C’est à la fois libérateur et remuant pour elle de faire resurgir les fantômes du passé. De séance en séance, reviennent, dans le flou de sa mémoire, l’image lointaine de sa mère la déposant à l’orphelinat du village, le visage de la nounou qui l’a prise sous son aile et qu’elle a dû quitter du jour au lendemain quand ses parents adoptifs sont venus la chercher, la sensation glaciale qui l’a parcourue quand elle a débarqué en France en plein décembre alors qu’elle ne connaissait que le soleil du Togo… Atterrissage terrifiant pour elle dans un pays dont elle ne connaissait ni la langue, ni la culture, où aucun visage ne lui était familier et où personne ne lui ressemblait. Du haut de ses 8 ans, elle se retrouvait projetée « sur une nouvelle planète » avec des parents, un frère et une sœur qu’elle ne connaissait et ne comprenait pas et qu’on lui présentait comme « sa nouvelle famille » en lui rabâchant qu’elle « avait de la chance ».
Il a fallu du temps et beaucoup de courage à Melia pour se reconstruire… En plus d’être une forme de thérapie, son livre a pour elle valeur de témoignage. Elle voudrait le publier pour soutenir tous les enfants adoptés qui souffrent en silence, et pour aider leurs parents de cœur à mieux les comprendre.
« Je veux témoigner car je sais que je ne suis pas la seule à passer par ce chemin embrumé où la chance côtoie de près la souffrance. Puissent les enfants adoptés trouver force et empathie en mes mots et mon histoire ; puissent leurs parents adoptifs mieux les comprendre et les accompagner – c’est ce qui me ferait le plus plaisir à travers ce livre. »
Tellement touchée par cette toute jeune femme si sincère.
Tellement honorée d’écrire son histoire.
Quels autres métiers font vivre de si belles rencontres ?
Des rencontres sans masques, sans filtres, sans politesses superflues.
On passe l’étape du « comment vous vous appelez – vous faites quoi dans la vie » pour entrer tout de suite au cœur de l’intime.
On ne prend pas de détours, on ne craint pas les mots durs ni doux ni les silences, on ne s’encombre pas de faux-sourires ; on plonge d’emblée dans l’authenticité et la sincérité. De cœur à cœur ; de cœur à plume.
Merci à Melia pour sa vérité et pour sa confiance.
Chronique rédigée par Anne-Sylvie Pinel, plume de vie : https://ecrivainbiographeparis.com/
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