À la rencontre de Paolo
Mars 2020 : nous sommes en pleine pandémie, au cœur du confinement, soumis à l’interdiction de sortir plus d’une heure à un rayon de plus de 10km. Rappelez-vous, vous devez vous munir d’une attestation et d’un masque sur le nez pour aller faire vos courses et trinquer devant Zoom à défaut de boire un verre avec vos amis.
C’est dans ce contexte que Paolo m’appelle. Il m’explique être touché de plein fouet par la pandémie. La société qu’il dirige, qui marchait jusqu’alors très bien et lui permettait de vivre dans une belle maison et d’inscrire ses enfants à l’école Montessori, est très impactée par la crise. C’est la faillite assurée si la situation perdure et, il faut se rendre à l’évidence, BFM TV ne manque pas de le rabâcher à longueur de journée : confifi, reconfifi, reconconfifi, elle est partie pour perdurer.
Paolo est dévasté. Pour lui, il est inconcevable d’échouer dans son business et de ne plus pouvoir offrir ce qu’il juge le meilleur pour ses enfants. Il me le confie sans détours : si la banqueroute venait à se présenter, il choisirait de démissionner… de la vie.
Oui, vous avez bien lu, mon interlocuteur m’annonce ouvertement préférer l’irréversible fuite à la faillite et envisager sérieusement cette possibilité.
« Je ne veux pas que mes enfants aient un père looser », m’explique-t-il alors que je me demande encore si j’ai bien entendu ; « je préfère partir que de leur donner l’image d’un père qui galère et n’arrive pas à offrir à sa famille une bonne situation ».
Ce qui me bouleverse, c’est non seulement le projet ô combien lugubre de cet homme à peine quadragénaire mais surtout sa détermination. Il a l’air sûr de lui, prêt à passer à l’acte si la conjoncture l’y condamnait.
Silence.
Je vous avoue qu’à ce moment précis, je ne sais que dire. J’ose finalement du bout des lèvres tenter d’immiscer un doute en lui :
« Mais vous ne croyez pas que vos enfants préfèrent avant tout avoir un père ? ».
Réponse tranchante : non. Pour lui, être un père « médiocre » n’est absolument pas envisageable. C’est pour cela qu’il veut écrire un livre, dans l’idée de, si jamais il devait en arriver à signer sa propre fin, transmettre ce qui est important pour lui à Maria et Giordano, ses deux enfants de 3 et 6 ans. Leur raconter leurs racines mi-italiennes mi-africaines, la personnalité haute en couleur de leur grand-père récemment défunt, sa rencontre avec leur maman, mais aussi le pourquoi de son geste et, surtout, l’amour infini qu’il leur porte.
Mettez-vous à ma place : que faire face à une telle demande ? Accepter d’écrire ce livre d’adieu prématuré ne me rendrait-il pas d’une certaine façon complice d’une décision que je ne cautionne pas ? Certes, je ne suis pas là pour juger les décisions de mes clients mais tolérer voire servir avec ma plume ce choix sans appel ne reviendrait-il pas à le valider ?
Je mets quelques jours avant de finir par accepter de prêter ma plume à ce monsieur dont le questionnement atteste que cette crise sanitaire aura occasionné bien des dommages collatéraux… Si j’accepte, c’est que j’ai l’espoir, certes un poil prétentieux, d’aider mon narrateur à retrouver le chemin de la lumière en remettant en perspective son histoire, son parcours, les résiliences de son passé et les possibilités de son avenir. J’ai déjà pu constater comme l’écriture de soi pouvait soulager, libérer, voire guérir, pourquoi ne pas espérer un happy end à ce livre autobiographique au final encore incertain ?
Voilà comment je me suis retrouvée à rédiger un livre d’adieux avant l’heure….
Rassurez-vous, Paolo est toujours des nôtres, sa société a repris son rythme de croisière et il a renoncé à démissionner de ce monde abracadabrant. J’ose croire aussi que l’écriture l’a amené à reconsidérer tout ce qu’il avait de beau à vivre et partager dans cette vie.
Son livre s’appelle « À mes amours », il déborde d’amour filial et de soif de transmettre. Il s’apparente à un livre posthume et pourtant Paolo est toujours là, bien debout, toujours déterminé à offrir le meilleur aux siens. Il ne lui arrivera, je l’espère, rien de funeste mais quoiqu’il advienne, il aura dit ce qu’il avait à dire à ses enfants. On n’est pas obligé d’approcher des 80 ans pour écrire ses mémoires ni d’attendre demain pour écrire à ceux qu’on aime qu’on les aime… Et croyez-moi : le dire, c’est bien ; l’écrire, c’est encore mieux
Chronique rédigée par Anne-Sylvie Pinel, plume de vie : https://ecrivainbiographeparis.com/
Envie de découvrir d’autres chroniques ? Cliquez ici.
Vous souhaitez devenir biographe ? Découvrez la formation Devenir biographe.
Vous voulez découvrir davantage ce métier fascinant ? Inscrivez-vous à la Newsletter Devenir biographe.